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C'est bientôt l'Eté. Je n'aime pas tellement l'Eté.
J'ai passé les heures les plus chaudes de l'après-midi dans la chambre de Robby à fumer des Parliament en jouant au dernier GTA sur sa Xbox ; il est maintenant presque dix-neuf heures et j'ai mal aux yeux, ma gorge est sèche et mon paquet ne contient plus que deux cartouches qui ne suffiront même pas à me faire tenir le temps du trajet pour rentrer chez moi. J'en aurais bien taxé à Robby, mais il est trop occupé à parler pour m'écouter. Du haut de ses quatorze ans il se vante depuis deux bonnes heures d'avoir roulé des pelles à une étudiante de deuxième année à l'UCLA lors d'une de ses fameuses escapades nocturnes il y a deux jours, mais j'ai du mal à le croire parce que Robby n'est qu'un menteur invétéré. Le son d'MTV résonne à fond depuis la chambre de la jeune soeur de mon pote, et j'entends la gamine hurler contre le dernier clip de Britney Spears. Les cinq ventilateurs postés à des endroits stratégiques dans la chambre carburent à fond, produisant un grondement de fond inintérrompu qui se confond avec celui, lointain, des hélicoptères qui survolent Los Angeles. L'odeur stagnante de la clope n'en est pas dissipée pour autant, et j'ai un peu mal au coeur.
Pendant que Robby parle toujours, décrivant maintenant avec précision l'expression affamée de l'étudiante qui était manifestement folle de son corps et qui voulait l'emmener tout de suite dans sa chambre pour des préliminaires poussés, je laisse tomber la manette de la Xbox sur la moquette bleu roi et je lève mes bras par-dessus ma tête pour longuement m'étirer baillant comme un lion apaisé. Ce que je ne suis pas, du tout. "Passe-moi une Parliament." me demande alors Robby en intérrompant lui-même son récit passionant, la main tendue. Robby ne dit jamais le nom que représente la chose, mais la chose représentée par le nom. Par exemple, il ne dira jamais "donne-moi à boire", mais "donne-moi du Coca-cola décaféïné." Il ne dit jamais non plus "donne-moi une clope", mais "donne-moi une Parliament." "Désolé", je réponds sans l'être. "Il ne m'en reste qu'une seule." Mais il garde sa main tendue en posant l'index de sa seconde main sur la comissure de ses lèvres pour une raison sybilline. "Non, deux." dit-il.
Je cille, blasé, et pour le contredire j'enfonce l'avant-dernière de mes cigarettes dans ma bouche avant de l'allumer. Robby retire alors sa main et renifle deux ou trois fois pour bien me montrer qu'il n'est pas content, mais pour tout vous dire je m'en tape complètement. A cause de ce con il ne m'en reste vraiment plus qu'une.
A ce moment, Phoebe, sa petite soeur, déboule dans la chambre avec le sourire de la chieuse de base en travers de la gueule. Moi, je n'ai ni frère ni soeur. Enfin, objectivement, j'ai un frère. Mais je ne le considère plus comme tel depuis qu'il s'est barré de chez nous ; enfin, ça j'en parlerais peut-être plus tard. En tout cas la gamine blonde nous regarde l'un après l'autre, Robby et moi, comme si elle cherchait une idée de truc lourd à faire. Aussitôt, Robby lui dit de se casser. A mon avis elle devrait le faire, parce qu'emmerder Robby c'est jamais vraiment une bonne idée. C'est sûrement à cause de tous les médocs qu'il prend, mais il a les nerfs faciles. Enfin, moi je peux l'emmerder si je veux, je m'en fous, mais elle elle fait quand même deux têtes de moins que lui. Bref.
"Maman a dit qu'elle voulait plus qu'il vienne." dit finalement la gamine en me pointant du doigt, sur le ton de l'évidence qu'on est pourtant trop cons pour comprendre. Elle se dandine d'un pied sur l'autre et son débardeur fushia taille 6 ans clame : "Je viens de plaquer mon petit copain." Je me demande pourquoi on n'instaure pas une réglementation vestimentaire minimale, et j'ai même presque envie de le demander à la ronde pour constater à quel point les médocs altèrent leurs sens réactifs. Mais un coup d'oeil à mon apanage m'informe que j'ai gardé le t-shirt marqué "Bateman était mon père" que j'avais déjà hier, alors je me tais.
"J'emmerde ce que dit maman. Dégage." réplique finalement Robby en haussant les épaules, et moi je me permets un petit sourire en tirant sur ma clope pendant que la gamine retourne d'où elle est venue sans insister davantage. Ce type est vraiment un abruti.
"De toute façon, je vais y aller." je l'informe en me relevant et en jetant mon mégot dans le cendrier plein qui traîne sur la table basse à côté de son lit, au milieu des Comics de Captain America et des piles de DVD qu'il a loué dans l'après-midi. Je passe une main dans mes cheveux déjà décoiffés et j'ignore ses molles protestations pour lui demander si, sans déconner, il pourrait pas me filer un paquet de clopes. Un temps. Et puis c'est plutôt drôle, il tire la tête du mec qui n'oses pas vraiment se mettre en colère, avec rictus en coin et rire agacé en sus. "Dans le tiroir." soupire-t-il finalement en désignant son bureau d'un signe de tête, cessant de lutter contre sa propre conscience naturellement amoindrie. J'acquièce et me dirige vers le dit bureau comme un prince en inspection légitime sur ses terres pour marquer un nouveau temps devant le bordel ambiant. "Putain mec, vous avez des femmes de ménage ici non ?" je marmone en repoussant un sachet de pop corns à moitié renversé pour avancer la main vers le tiroir supérieur ornant le meuble, pendant que derrière moi la voix morne de Robby s'élève pour dire qu'il n'aime pas qu'on touche à ses affaires. Je réplique que je comprends pourquoi en trouvant une pille de revues pornos dans le tiroir, et je le referme pour investir le second ou j'ai cette fois plus de chance ; au moins cinq ou six paquets de Marlboro attendent sagement au milieu de ses magazines un peu plus softs. Quel salaud ce type. Mais je me redresse avec l'un d'eux bien en évidence dans ma main droite, pivotant l'instant d'après pour faire à nouveau face à mon ami et glisser un second paquet dans la poche arrière de mon jean tout en refermant le tiroir. Il n'y a pas à chier, c'est plutôt gentil comme vengeance, mais je suis d'humeur clémente aujourd'hui. De manière générale, je suis toujours trop gentil de toute façon. On me le dit souvent.
"Bon, salut mec." je lance en lui tapant vaguement dans la main, et je sors aussitôt de la pièce sans me retourner sur autre chose que Phoebe qui, dans la chambre adjacente, mime apparement le langage gestuel des sourds-muets pour traduire son appréciation quand aux candidats du jour de Next. Je m'apperçois alors que les écouteurs de son balladeur CD sont collés dans ses oreilles et que la musique des J-Five en émmerge par saccades, et j'épprouve alors le besoin de m'éloigner de cette maison le plus vite possible, ce que je fais en m'allumant une des cigarettes de Robby. Je préfère garder ma Parliament pour plus tard.
Dans la rue le béton a fondu par endroits, et quand ma tennis menace de m'échapper en s'engluant dans l'écoeurante substance noire et odorante je traite toute la ville de nid à cons dégueulasse, ce qui fait tourner la tête au gamin en vélo qui passait derrière moi. "Soigne-toi, mec !" me crie-t-il en riant, et je pries pour qu'il se paye les poubelles qui dépassent un peu du trottoir sans pour autant être exaucé. Désabusé, je secoues ma chaussure et je reprends ma route, enfonçant mes mains dans mes poches en priant cette fois pour un déluge. Un bon gros déluge.
C'est pas de ma faute, je vous l'ai dis, j'aime pas tellement l'Eté.
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24/05/2008
