L'incipit a été écrit par Pierre Bottero. C'était une nouvelle que j'avais faite pour un concours.


Mensonges et vérités de Baba Yaga

Louise poussa un grognement.
Elle avait retardé tant qu’elle avait pu le moment de se mettre au boulot, espérant jusqu’à la dernière minute qu’un miracle la sauverait mais là, le dernier jour, à onze heures du soir, soit neuf petites heures avant le cours fatidique, elle était coincée. D’autant plus coincée que madame Agay était connue pour la sévérité avec laquelle elle traitait les élèves qui ne rendaient pas leur travail dans les délais impartis.
Pour la dixième fois de la soirée et la centième depuis une semaine que madame Agay leur avait donné ce fichu devoir, elle lut le sujet :
« Baba Yaga est une figure centrale des légendes russes. Vous utiliserez le conte étudié en classe et les résultats de vos recherches personnelles pour rédiger un texte de quatre pages dans lequel Baba Yaga jouera un rôle essentiel. »
Le conte étudié en classe ? Louise en gardait un souvenir si vague qu’elle en était venue à se demander si elle n’était pas absente le jour où la prof l’avait présenté.
Vos recherches personnelles ? Il ne fallait quand même pas rigoler !
Bon, d’accord, elle n’avait rien fichu, rien écouté, rien préparé et, demain, elle allait se faire trépaner par madame Agay. Et tout ça à cause de cette…
 Maudite Baba Yaga ! cracha-t-elle.
Comme un écho à son juron, un claquement sec retentit dans le couloir, suivi du bruit d’un corps lourd se trainant vers sa chambre.
Louise se figea. Si elle avait réveillé ses parents, que l’un d’eux entrait et la surprenait en train de… de ne pas travailler au lieu de dormir, madame Agay n’aurait plus rien à massacrer demain.
Elle se précipitait vers son lit lorsque la porte s’ouvrit avec une lenteur digne de grands films de suspense, laissant place à une fillette aux joues roses.
Elle ressemblait trait pour trait aux poupées russes que Louise avait aperçues en classe et traînait derrière elle quelque chose d’énorme et de lourd emballé dans…dans un tapis !
La chose avait forme humaine, saucissonnée dans un épais tissu. De petits gémissements parvenaient jusqu’aux oreilles de Louise et le tapis bougeait, gigotait dans tous les sens comme essayant de se défaire de sa prison.
Louise regardait tour à tour la fillette qui avait fait irruption dans sa chambre et le paquet qui gesticulait toujours à ses pieds alors qu’un petit sourire ravi s’étirait sur les lèvres de l’invité surprise.
-C’est moi que tu maudis ou c’est elle ?
Louise l’observait inlassablement, ne comprenant sans doute pas ce qu’il se passait. C’est alors que cette mystérieuse jeune fille la prit par les épaules en un geste fraternel, comme un coach et son joueur…
-Oh là là ma vieille ! Ne me dis pas que t’as pas compris ! Baba Yaga c’est moi et…, elle regarda le tapis à ses pieds avec un air franchement dégoûté, ça… c’est cette maudite Mme Agay !
La dénommée Baba Yaga fit un clin d’œil à Louise, qui sourit à cette remarque : sa professeur de français allait enfin avoir une leçon pour les martyriser chaque jour.
Son attention revint vers la copie blanche qui trônait sur son bureau et elle se rassit dans son fauteuil, en proie au découragement. Baba Yaga la regardait avec un air désolé, comme pour plaindre la pauvre Louise … puis se ranima et commença d’un ton enjoué :
-Mais bien sûr que je vais t’aider, petite sotte ! C’est quand même ma biographie que tu dois écrire … ! Alors voilà, je suis arrivée il y a plusieurs millions d’années et… Bon, tu écris ? Bon je continue … Et j’étais comme un ange parmi une troupe d’horribles monstres…
Elle contait à Louise des histoires abracadabrantes. Tantôt avec des géants ou des ogres, tantôt avec des personnages de fictions mais qui faisaient toujours passer Baba Yaga pour un dieu. Louise écrivait, heureuse de pouvoir terminer son devoir en à peine une heure.
A présent, c’était à son tour de penser que Baba Yaga était un dieu…enfin une déesse, Louise l’avait crue si fragile qu’il était presque improbable que ce soit vrai.
*Waouh ! J’ai beaucoup de chance qu’elle soit venue juste pour moi, c’est vraiment une fille super, toujours prête à aider les autres* pensa-t-elle en regardant Baba lui raconter encore une fois l’histoire où elle avait sauvé un peuple de la noyade.
Après une heure de copie, Louise en avait assez. Sa main était devenue très douloureuse au bout de la 3ème page mais son objectif était atteint : elle relisait fièrement ses quatre pages de rédaction.
Baba Yaga s’en rendit compte aussi et lui conseilla d’aller se coucher sans que celle-ci n’eut besoin de lui demander quoi que ce soit.
Sans un mot, épuisée par ce travail acharné, Louise s’endormit dès qu’elle s’allongea sur son lit.
Durant la nuit, elle rêva de paysages enneigés et de yétis mangeurs d’hommes où Baba Yaga intervenait toujours pour sauver une quelconque personne en danger. Mais ces fois-là, elle était à ses côtés…comme étant le bras droit de la déesse.
C’est quand le dernier yéti fut à ses pieds qu’elle s’éveilla. Le hurlement de la bête ressemblait à la sonnerie de son réveil.
Baba Yaga patientait, assise dans un fauteuil. Elle était souriante, une fois de plus… Comme si elle avait gagné quelque chose et attendait Louise pour le lui annoncer. Encore une heure avant le cours fatidique, Louise déjeuna rapidement et fourra ses affaires dans son sac avec la copie, qu’elle avait glissée dans son classeur de français.
« Louise ! Passe la première ! » Malgré son enlèvement de la veille, Mme Agay était revenue plus que décidée à continuer de les martyriser. Elle leur avait fait l’excellente surprise (c’est de l’ironie, il ne faut pas rêver…) de leur faire lire leurs textes en résumant.
Louise était la première à passer, Mme Agay se doutait-elle qu’elle avait pris part à son enlèvement ?
Alors, en quelques minutes à peine, elle résuma le glorieux récit des aventures de Baba Yaga. Mme Agay fut décontenancée par ce récit, ainsi que tous les élèves, et elle demanda à une autre personne de lire son expression écrite en prétendant que le devoir de Louise était bâclé et que c’était une insulte à la légende.
L’élève nommée commença : « En quelques mots, Baba Yaga fait partie d’une grande légende russe très ancienne selon laquelle elle se transformerait en fillette, abuserait de la confiance des enfants pour les amener chez elle et les manger. C’était un être abomina…
-C’est bon, Louise se rend maintenant compte de l’énormité de son devoir ! » La coupa Mme Agay. Elle était furieuse et lui lançait des regards noirs. A la fin du cours, tous les élèves étaient passés et elle déchira la copie de Louise devant eux.
Celle-ci maudissait Baba Yaga de lui avoir donné de faux renseignements et de l’avoir ainsi humiliée.
Néanmoins, la légende russe disait-elle vrai ? Baba Yaga abuserait de la confiance des enfants pour les manger ?
Louise ne savait pas comment réagir, elle avait peur à présent ; peur de retourner chez elle et de voir la légende se confirmer...

Camille Duquesne